Le jeu d’évasion dans la médiation scientifique

Article écrit par : Aude Thépault
Première mise en ligne le 1er juin 2018
Mise à jour le 3 juillet 2019
inspirations et intentions

Les escape games permettent-ils de répondre aux missions de transmission et de diffusion de la culture scientifique ainsi qu’aux exigences d’apprentissages propres à l’enseignement ?

Un travail de recherche en Master 2 Médiation et médiatisation des savoirs m’a amenée à réaliser des entretiens avec des concepteurs de jeux d’évasion pour comprendre les mécanismes d’engagement dans la création de ce type de dispositif de médiation. Il s’agissait d’une enquête qualitative auprès de trois acteurs et actrices aux profils variés impliqués dans la conception, dans la diffusion et dans la formation à ce type de dispositif : chef de projet spécialisé en gamification et médiation scientifique, médiatrice en archéologie, enseignante. Trois contextes ont été étudiés : l’exposition en mode escape game, Luminopolis, créée par Cap Sciences à Bordeaux [1], une formation sur la médiation par l’enquête en archéologie avec l’élaboration par les stagiaires d’escape games et enfin un contexte d’enseignement en sciences.

Pourquoi des professionnels du monde de la culture et de l’éducation se lancent‑ils dans la création de jeux d’évasion ? Pourquoi choisir ce format ? La création des escape games à vocation pédagogique a-t-elle pour objectif avant tout l’acquisition de connaissances, ou bien l’appropriation de la démarche d’investigation, ou encore le développement de compétences psychosociales ? Quelles sont les représentations en jeu dans la conception d’action de médiation des savoirs utilisant les méthodes de ludification et d’immersion ?

Pourquoi créer un escape game éducatif ou culturel ?

Les trois entretiens menés s’accordent sur l’attractivité très forte du jeu et particulièrement du format escape game. En effet, celui-ci a la capacité de capter le public, de l’impliquer très rapidement, de lui permettre de vivre une expérience dont il se souviendra. Cette modalité combine parfaitement la rencontre entre le dispositif (rapport entre l’objet et la structure du jeu) et les dispositions (l’envie de jouer, l’intérêt pour le jeu, le fait de se prendre au jeu). Il semble permettre l’adhésion du plus grand nombre, même pour ceux qui n’ont pas d’appétence pour le jeu.

L’escape game enrichit les formats de jeux existants. À plusieurs reprises, les personnes interrogées ont évoqué d’autres modalités de médiation en lien avec les jeux de rôle. Le format permet une souplesse et une efficacité inégalées dans l’expérience vécue, et donc par extension de l’appropriation des connaissances. Ainsi, les escape games pédagogiques ne font pas qu’offrir aux joueurs la possibilité de relever un défi en équipe, de vivre une aventure dans un décor original, d’incarner un personnage fictif ou encore d’être gagné par de nombreuses émotions. Ce sont aussi des dispositifs efficaces repris notamment par des enseignants ou des médiateurs scientifiques pour diffuser leur savoir autrement, et motiver les élèves et les publics en plaçant l’aspect ludique et l’esprit d’équipe au service de ces nouveaux modes d’apprentissage.

Les motivations des divers profils de concepteurs se rejoignent. Il est compréhensible que les exigences d’apprentissage dans un centre de culture scientifique soient différentes de celle à l’œuvre dans le cadre des enseignements. Il existe, par ailleurs pour les structures culturelles, une volonté de se démarquer volontairement des pratiques pédagogiques de l’Éducation nationale. L’expérience du jeu et particulièrement des escape games témoigne d’une volonté de rompre avec l’instrumentalisation du jeu à des fins uniques d’acquisition des connaissances. Les dispositifs de médiation ludiques ont été réinterrogés en intégrant les dimensions du game et du play. Il ne s’agit pas de produire uniquement du game, c’est‑à‑dire des dispositifs d’objets et des systèmes de règles, mais également du play pour générer de l’expérience ludique. Ces nouvelles postures, loin de faire renoncer aux missions de transmission, renforcent l’efficacité de l’appropriation d’un contenu ou d’une démarche…

Un escape game semble donc être un format idéal non seulement pour déclencher un intérêt pour un sujet, mais également pour permettre la collaboration, le travail de groupe et pour favoriser l’intelligence collective.

Les caractéristiques d’un escape game culturel ou éducatif

Différentes caractéristiques font que l’escape game est une modalité puissante pour atteindre des objectifs définis, que ce soient des objectifs de découverte d’un sujet, de révision, d’apprentissage de méthode. L’efficacité du dispositif tient de l’expérience immersive d’une part et de la contrainte temporelle d’autre part. L’immersion est favorisée par le scénario choisi, qui doit être motivant, intrigant pour permettre de plonger dans l’histoire. La narration est importante car car elle favorise l’immersion et la mémorisation . Ce sont les résolutions des énigmes qui peuvent susciter les apprentissages, l’appropriation d’un savoir ou d’une méthode ; elles permettent la collaboration, l’écoute entre les participants, l’entraide. Pour favoriser ces compétences, les énigmes doivent être variées, elles doivent également surprendre, être originales et complexes. Le tangible est également très important, des éléments cachés doivent être trouvés (documents, objets) par une fouille minutieuse de l’espace, une solution peut être trouvée en manipulant un objet, en observant. C’est la combinaison des éléments qui permet la résolution des énigmes, la manipulation physique étant très importante, particulièrement à plusieurs.
L’escape game est propice à générer des émotions, qui marquent aussi les participants. Les premières perceptibles sont le stress et la tension générés par la pression temporelle, mais le plaisir est bien présent également quand les solutions sont trouvées.

Le scénario et les énigmes doivent être en phase avec les objectifs poursuivis. Si l’objectif est la découverte d’un sujet, comme cela est le cas avec Luminopolis, il est assez difficile de s’assurer de l’acquisition de connaissances. En revanche, s’il s’agit de permettre de réviser une notion, l’évaluation des apprentissages est plus aisée.

L’organisation des énigmes au sein du scénario est importante pour favoriser l’intelligence collective (Levy, 1997). Ainsi, chaque membre du collectif est porteur d’une richesse non négligeable qui lui assure une place et une contribution uniques au sein du collectif intelligent. Un scénario linéaire contraint les participants à suivre ensemble une unique direction alors qu’un scénario dit en étoile ou convergent permet aux participants, en se coordonnant pour résoudre l’énigme finale, de sortir vainqueurs dans le temps imparti [2]. Cependant on mesure bien alors la difficulté pour évaluer des apprentissages puisque les joueurs n’ont pas forcément résolu les mêmes énigmes. C’est pourquoi la phase de débriefing est indispensable pour mettre en commun, expliquer et aller plus loin…

Un outil au service des apprentissages et du développement de compétences

Les conclusions données par les observations et entretiens montrent que les escape games sont bien au service des apprentissages. Il s’agit bien d’un outil pédagogique parmi d’autres, au format motivant, vivant, avec une temporalité intéressante. Cette modalité est très utilisée actuellement et commence à être bien documentée, particulièrement dans le domaine éducatif. Dans le domaine culturel, il y a moins de partage en raison de la confidentialité des productions. Les escape games permettent donc bien de déclencher un intérêt et surtout de permettre une expérience positive d’apprentissage puisque ce format semble plébiscité par le plus grand nombre. Par ailleurs, l’expérience générée par un escape game éducatif permet de combiner diverses pédagogies de l’apprentissage : apprentissage par le jeu, pédagogie de l’engagement, apprentissage par le corps, apprentissage collaboratif….

Ce format est-il propice à l’appropriation de la démarche d’investigation ? Jouer un escape game crée une expérience, fait réfléchir les participants par la résolution des énigmes, mais il est difficile d’avoir la certitude que la démarche d’investigation soit appliquée. D’une part, les participants ne vont pas faire forcément les mêmes activités dans le jeu puisque la modalité est collaborative. D’autre part, la contrainte temporelle est en opposition avec la démarche d’investigation, qui est une démarche plutôt longue.

Il s’agit donc bien d’un format qui se prête aux sujets scientifiques. La création des énigmes est plus évidente dans ce domaine. Cependant il n’est pas possible d’affirmer que cela favorise l’appropriation de la démarche scientifique avec les données dont on dispose actuellement.

Le développement des compétences psychosociales est‑il favorisé par cette modalité ? Le constat est unanime sur ce point : les escape games se prêtent complètement au travail de ces compétences. Deux aspects participent à ce développement. Le premier est le tangible avec la manipulation, la fouille et l’appropriation de l’espace physique. Le deuxième aspect est lié à la collaboration, la communication et l’écoute indispensable entre les participants. À cela on peut ajouter la temporalité contrainte qui implique une gestion du stress et de ses émotions. Ces aspects confèrent à ce format de jeu un puissant effet fédérateur, permettant d’impliquer ensemble les participants, de leur faire vivre de manière collégiale une expérience.

En conclusion de cette recherche, il apparaît clairement que l’escape game va dans un avenir proche devenir un format de médiation et de formation classique. Il a assurément un rôle à jouer dans les apprentissages, pour s’approprier un contenu mais n’est cependant pas un élément suffisant pour expérimenter et maîtriser la démarche d’investigation. Les compétences psychosociales mises en œuvre dans les jeux d’évasion sont des moteurs pour générer l’expérience propice à se souvenir des contenus scientifiques présents dans l’escape game. Ce format a donc des conséquences sur les apprentissages comportementaux et crée les conditions d’une relation émotionnelle avec les connaissances…

[1Luminopolis est une cité savante organisée comme un véritable escape game, avec pour thématique la lumière.

[2Voir à ce sujet notre article, Oser franchir la ligne.

Aude Thépault est professeure-documentaliste et médiatrice Canopé.