Être le héros le temps d’une lecture procure un plaisir évident. C’est pour cette raison qu’avec des élèves de Cinquième, nous avons eu comme projet de créer une histoire à embranchements dans laquelle le lecteur serait totalement impliqué et vivrait une aventure unique en fonction de ses choix. Et quoi de mieux pour cela que d’incarner un personnage qui veut restaurer l’honneur de sa famille, face à un oncle au comportement étrange, en partant en quête d’un trésor familial au sein d’un univers médiéval et merveilleux semé de pièges. Tel est le scénario imaginé dans Les clefs du pouvoir.

Les histoires dont vous êtes le héros ont connu leur heure de gloire à la fin du XX^ème siècle, mais les livres ludiques, les livres pour jouer ne sont pas une idée nouvelle. Dès le XIX^ème siècle, on trouve en Angleterre des livres manipulatoires destinés aux adultes. Puis Raymond Queneau, en 1967, publie Un conte à votre façon qui raconte en 21 paragraphes l’histoire de trois petits pois, et c’est au lecteur de choisir les aventures de ces personnages. Il pose ainsi les bases de la littérature active, la littéraction dans laquelle le lecteur est impliqué et doit faire des choix s’il veut réussir le défi lancé par le livre [1].

En tant que professeur de Français, l’objectif est bel et bien de rendre les élèves acteurs de leurs savoirs et aussi de leur donner le goût de la lecture. L’idée de leur faire écrire une HDVELH est née d’un réel plaisir personnel de lectrice de ce type de récit, et d’une volonté de proposer aux élèves une autre forme d’écriture collaborative afin d’explorer davantage encore la structuration du récit.

Pour commencer, il m’a semblé nécessaire d’expliquer aux élèves le fonctionnement de ces histoires. Puis, comme il s’agissait de réinvestir les acquis de la séquence précédente consacrée au roman Yvain le chevalier au lion, l’univers médiéval s’est imposé de lui-même. Collectivement, nous avons procédé à l’élaboration des grandes étapes du scénario. Très rapidement, l’idée d’une carte avec différents lieux à choisir a surgi, ce qui a permis de répartir le travail entre différents groupes. Cette carte (pendant de la map dans les jeux vidéo) s’est présentée aussi comme un bon moyen de favoriser la notion de choix. Choisir un lieu permet ainsi d’introduire un premier choix narratif, un premier chemin à explorer. Le support visuel est aussi une aide précieuse pour les élèves qui ne sont pas familiers avec ce type d’ouvrage.

Une fois les lieux et épisodes répartis entre les groupes, le travail de création des choix de lecture a commencé. Nous aurions pu utiliser différents outils numériques qui permettent de réaliser des organigrammes ou des cartes heuristiques [2] afin de concevoir les chemins de l’histoire. J’ai préféré cependant privilégier le format papier afin que les élèves visualisent les chemins possibles, et puissent rayer, effacer ce qui ne convenait pas. Cette étape a permis un véritable travail du brouillon avec une relecture de ma part mais aussi avec une présentation aux autres groupes qui ont pu valider les choix, questionner pour remettre en cause la cohérence ou pour proposer d’autres idées.

Après cette rédaction sommaire des différents choix, les élèves ont pu passer à l’écriture d’un premier jet des paragraphes dédiés à leur épisode. Pour faciliter le travail et les relectures, l’utilisation d’Etherpad, logiciel d’écriture collaborative en ligne présent sur l’ENT, m’a semblé être l’outil de rédaction le plus pratique. Chaque élève de chaque groupe pouvait ainsi avancer le récit en dehors des cours. Et grâce au clavardage, ils pouvaient également se questionner ou me poser des questions au fil de leur récit.

Pour les accompagner dans leur création, il me semble essentiel de leur fournir des outils facilitateurs. J’ai donc conçu des fiches d’aide à la rédaction : liste de personnages, de lieux, d’événements…

Le projet s’est ensuite articulé autour d’une alternance des phases d’écriture en groupes et de relecture collective afin de valider la cohérence d’ensemble, les détails de l’histoire. Lors de cette phase, j’ai imposé une nouvelle contrainte aux élèves : effacer toutes les marques pouvant distinguer le genre du personnage afin que l’immersion du lecteur soit complète, car nous avions choisi d’utiliser le pronom personnel « tu ». Un bon moyen de travailler les compétences orthographiques et grammaticales, mais aussi une manière d’ancrer les connaissances.

Une fois l’ensemble relu, nous avons utilisé une simple feuille de calcul de tableur (Excel) pour visualiser le nombre de paragraphes et pouvoir ensuite les renommer sans créer de doublon ou commettre une erreur. Pour finir, il était temps de trouver un titre, étape sans doute la plus difficile pour les élèves : il fallait qu’il soit court et qu’il donne envie de se plonger dans l’histoire. La classe a donc opté pour « Les clefs du pouvoir ». Nous avons ensuite fait collectivement le choix d’utiliser la plateforme Genially afin de faciliter la navigation dans l’histoire créée et la diffusion du récit créé car il est évident qu’on écrit pour être lu, facteur certain de motivation pour les élèves.

Se lancer dans un tel projet peut paraître chronophage, mais cela présente plusieurs plus-values pédagogiques. C’est un projet collaboratif qui va permettre de travailler de nombreuses compétences d’écriture et en particulier la structuration du récit et sa cohérence, mais cela permet également de travailler la cohésion au sein du groupe classe. De plus, cela peut conduire à développer le goût de la lecture. On écrit pour être lu, mais il faut aussi lire pour écrire. Les savoirs prennent ainsi du sens dans la réalisation d’un projet concret. Créer une HDVELH peut donc s’envisager comme projet de réinvestissement de notions en cours de français, mais pas seulement ! C’est en effet une opportunité de mener un projet interdisciplinaire, une idée à creuser !