Piège arctique
Au cœur de l’Arctique se trouve un trésor précieux, toujours introuvable : une épave du XIXème siècle, prisonnière des glaces. Celui ou celle qui la découvrira sera l’archéologue le (la) plus célèbre de sa génération.
Tour à tour, le lecteur incarne le professeur Jules Lainé qui a pour mission de trouver l’épave du Belargo, ou le jeune marin Pip à travers la lecture de son journal de bord.
Différents défis concoctés par Gauthier Wendling attendent le lecteur : survivre au froid polaire à la manière d’un Robinson des glaces, sortir d’une ancienne station abandonnée, un navire, retrouver un manuscrit, côtoyer des cadavres et la mort blanche, fuir des griffes d’un ours polaire… Tous les ingrédients d’un récit d’aventures qui n’est pas sans rappeler certains romans de Jules Verne. L’histoire est ancrée dans un imaginaire assez classique (le trésor caché, l’étrange mal qui décime l’équipage…) mâtiné de modernité avec des références à la sexualité des personnages. Les clins d’œil culturels et littéraires sont nombreux : Frankenstein de Mary Shelley avec une allusion au personnage de Safi, Indiana Jones pour les personnages d’archéologues, le livre dont vous êtes le héros Frankenstein le maudit de JH Brennan, le mythe de la Toison d’or au travers du nom du navire perdu dans les glaces, le Belargo…
C’est un livre que j’avais envie d’écrire depuis plusieurs années, depuis ma lecture d’un essai historique de Marie Hélène Fraïssé, et du roman Terreur de Dan Simmons. Ça m’avait remis en tête mes lectures polaires de jeunesse : Les Aventures du capitaine Hatteras de Jules Verne, Les Rescapés de l’Endurance d’Alfred Lansing, Les Naufragés du pôle nord de Garry Hogg (dans une très kitch édition Bibliothèque Verte)...
Le jeu capitalise l’expérience des escape books précédents : péripéties et twists scénarisés comme dans Risk, et double point de vue comme dans Hôtel mortel. Dans la construction, même préoccupation que dans tous mes livres d’évasion, celle de varier. Être enfermé oui, mais pas entre les quatre mêmes murs du début à la fin.
Piège arctique se découpe en cinq chapitres qui alternent deux points de vue - Jules Laîné, archéologue contemporain, et Pip, marin du XIXème siècle - pour venir à bout du mystère du Belargo. Les deux récits imbriqués se distinguent par le parler des personnages : l’un est un vieux bougon qui peste contre les techniques modernes, l’autre un marin peu instruit, aux expressions colorées. Pour le lecteur, c’est une immersion garantie au sein de différents espaces et époques à visiter dont il lui faut s’échapper, d’autant que l’auteur s’est fortement documenté dans des domaines allant des expéditions polaires héroïques jusqu’aux dialectes inuits, aux lois canadiennes et aux bases militaires du Grand Nord.
On note aussi une véritable recherche de variété dans les situations et dans les types d’énigmes à résoudre : orientation, déchiffrage de messages secrets, puzzles et tangram avec des pages à découper en fin d’ouvrage (ou à télécharger et imprimer), etc.
Pour les codes secrets, je veille désormais à ce qu’ils se décodent « à l’œil », c’est-à-dire avec une astuce permettant une lecture cursive, un décodage de tête, sans recourir laborieusement à une table de substitution. C’est aussi le cas de certaines énigmes visuelles, qui ne nécessitent pas de comparer plusieurs documents ni de crayonner beaucoup.
Pour avancer au sein d’un chapitre, une carte du lieu à explorer sert de guide au lecteur. Les illustrations de David Chapoulet favorisent l’immersion dans l’histoire, et (pour certaines) sont le support d’énigmes. On retrouve les combinaisons d’objets qui permettent de faire des choix en fonction de l’action et de ce que l’on a déjà découvert. Que faire de la barre d’aluminium : une attelle ou un levier ? Choisir les jumelles ou le piolet ? Des décisions qui feront de chaque lecture une aventure différente. À cela s’ajoutent des conversations qui seront source d’indices ou qui mèneront à une fin prématurée. Pour ne pas perdre le fil de cette intrigue, il faut se munir d’un crayon et d’un bloc-notes, et ne pas hésiter à glisser des post-its pour marquer les différentes parties.
Et c’est bien ainsi que le livre se présente : un jeu qui se rejoue. En effet, il existe à chaque fois deux ou trois manières pour le lecteur de parvenir à se sortir d’un chapitre… Ce qui peut s’avérer assez déroutant quand on a bien pris soin de tout visiter, tout noter, et que finalement une partie de ces notes semble inutile ! Pris dans l’aventure, qui réserve de nombreux rebondissements, on oublie ensuite cette frustration pour poursuivre la quête du héros. Et la mécanique fonctionne ! L’ouvrage réserve deux fins, une signant le succès et l’autre l’échec de la mission, et dans les deux cas, on a envie de rejouer la partie afin de réussir cette fois, ou de découvrir un autre pan de l’histoire.
Un pari réussi pour Gauthier ! Piège arctique est un livre-jeu d’évasion haletant, au scénario riche et très documenté, que nous ne saurons que conseiller aux amateurs du genre.