Gauthier Wendling se livre
Première mise en ligne le 9 janvier 2020
Bonjour Gauthier ! Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Nous te connaissons via les ouvrages que tu publies aux Éditions 404, collection Escape Book, comme La Marque de Cthulhu ou encore Le Secret des Mayas… Il paraît que tu es aussi professeur de Français ! Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours ?
J’ai passé le CAPES de Lettres Modernes en 2003 et enseigné le Français dans divers établissements en Alsace. Depuis 2009, je travaille dans un collège de campagne. Durant l’été 2014, est venue l’idée de participer à un concours d’écriture sur le forum RDV1 (Rendez-vous au 1). C’était l’occasion de conjuguer deux passions d’adolescence : les enquêtes de Sherlock Holmes et les livres dont vous êtes le héros. C’est ainsi qu’a été écrite la première partie de La Malédiction des Baskerville, un livre-jeu hommage. Le forum RDV1 est vivace et fort d’une communauté passionnée qui n’a pas ménagé son soutien lors de l’écriture, merci à tous ses membres !
La deuxième partie de La Malédiction des Baskerville a été écrite à la demande d’un petit éditeur cannois, Megara Entertainment, qui hélas a fait faillite depuis (qu’on se rassure, la « malédiction » n’y est pour rien...). Le titre a été publié à peu d’exemplaires mais remarqué par un auteur-traducteur du groupe Edi8 – il se reconnaîtra, je le remercie. Il a assuré le contact avec l’une des éditrices... Quelques mails plus tard, voilà l’aventure de la série Escape Book (fondée par François Lévin, inventeur du genre en France). Et ça sans avoir jamais fait un escape game de ma vie ! J’avais juste vu l’épisode 8x10 de la série The Middle qui se déroule dans une salle d’escape. Je me suis rattrapé depuis, j’en ai fait plusieurs ainsi que des murder parties.
Utilises-tu tes ouvrages ou d’autres du même genre dans tes cours de Français ?
Après avoir étudié le roman de chevalerie et la figure du héros, je fais lire aux Cinquièmes le début du Château des Âmes damnées de Dave Morris, en projection au tableau. C’est un livre-jeu Gallimard des années 80. Les élèves élaborent des hypothèses sur l’histoire à partir de la couverture et du titre, c’est l’occasion de faire du vocabulaire : damné, damnation, c’est religieux, mais condamnation, c’est la justice. La couverture montre un marais, et il arrive que des élèves ne connaissent aucun mot pour nommer ce type de paysage. Là encore, on échange, on cherche un peu. Puis l’introduction et le jeu sont mis en voix par le professeur. Les élèves regardent, écoutent, ouvrent de grands yeux devant les illustrations de Leo Hartas. A la fin des paragraphes, les élèves discutent entre eux et votent à main levée pour la suite. Au départ les classes sont surprises, parfois rétives, mais au final elles se prennent toutes au jeu. Je m’arrête à un certain point de l’histoire, quand je sens que les élèves sont ferrés, et là : à vous d’écrire la suite et de la partager ! C’est toujours un bon moment.
J’utilise aussi quelques pages de l’Escape Book : La Marque de Cthulhu en Quatrième pour réviser les règles classiques de la poésie, puisqu’elles figurent en annexe.
Livre dont tu es le héros, escape book, livre-enquête… Quelle distinction fais-tu entre ces types d’ouvrages ? As-tu des préférences en tant que lecteur et auteur, et pourquoi ?
Tous sont des jeux, mais la structure, la navigation et les enjeux ne sont pas les mêmes. Le livre dont vous êtes le héros se prête à tout, enquête, jeux d’énigmes, combats, ou juste un récit pluriel. Le livre-enquête est linéaire, disons que c’est une forme particulière de livre dont vous êtes le héros. L’Escape Book est plus spécifique dans ses thèmes (l’enfermement ou la chasse au trésor) et son déroulement. Il demande une implication plus forte : feuilleter, revenir en arrière, relire en quête d’indices. C’est plus adulte, c’est pour cela que les Escape Book Junior reviennent en fait à la forme du livre dont vous êtes le héros, plus adapté au jeune public.
Serait-il intéressant et envisageable de faire écrire ce genre de récit à des élèves ?
L’organisation plus apparente d’un livre dont vous êtes le héros parle davantage aux élèves quand il s’agit d’écrire, en fournissant un schéma à embranchements laissé muet, qu’ils doivent d’abord remplir, puis utiliser comme plan d’écriture. Une version propre du schéma peut être jointe à la copie.
C’est donc envisageable. Est-ce intéressant ? Si la classe a d’abord été sensibilisée au genre et a bien accroché, oui. Cela demande toutefois une certaine débrouillardise de la part des élèves, et le professeur devra beaucoup accompagner. C’est bien expliqué dans la revue Argos n°2 [1] (novembre 1989) dont je me suis fait envoyer une copie par le CRDP de l’Académie de Créteil. L’article fait un état des lieux du genre du livre-jeu à cette date, et propose plusieurs outils d’aide à l’écriture pour les élèves : écheveau des possibles ; grille pour proposer des lieux, des événements ; amorce à partir de tableaux connus. Les enjeux sont les mêmes que toute rédaction. Les mots et les temps verbaux pour enchaîner les événements, les outils de la description, le vocabulaire thématique... avec un côté ludique en plus.
D’après toi, peut-on trouver une dimension pédagogique aux livres et boîtes de jeux d’évasion du commerce ?
Oui, en les choisissant bien au départ et en effectuant bien le lien avec une œuvre étudiée. Ce lien est thématique, pour le moment je n’ai pas trouvé de boîte qui fasse réviser des connaissances vraiment scolaires comme la conjugaison. Un point important, c’est d’exiger des groupes qu’un porte-parole explique clairement en phrases entières les déductions, la résolution des énigmes. Il ne s’agit pas d’y aller au petit bonheur la chance et de lancer des bouts de raisonnement mal formulés. Je me rappelle d’un élève dyslexique qui a magistralement résolu un code secret au tableau !
En fin d’année, quand il y a moins d’effectif et que les séquences sont bouclées, je fais faire les Escape Box Détectives et Pirates aux Cinquièmes avec qui j’ai travaillé le policier et L’Île au trésor de Stevenson. Ils sont déjà sensibilisés au type d’intrigue et au vocabulaire. J’ai aussi essayé la Box Versailles avec des Sixièmes, après une activité sur le château et ses fêtes. Une élève disait à propos de la bande-son [2]qui décompte le temps et crée l’ambiance : « Ça me stresse ! » Justement, c’est le but... et apprendre en s’amusant, aussi. Dans cette boîte, il faut savoir déduire par élimination, mettre ensemble des mots du même champ lexical...
Les Box sont une forme moderne et collective des anciens livres-jeu de la collection Les Petit Retz Pédagogiques [3] des années 80-90 : Le Labyrinthe d’Errare, Le Labyrinthe d’Hermès, Le Labyrinthe des Romains... À cette réserve que les Petits Retz Pédagogiques visaient des connaissances clairement scolaires, ils étaient d’ailleurs rédigés par des inspecteurs et des formateurs pédagogiques.
As tu déjà créé ou intégré des escape games réels dans tes classes ?
Non, car c’est prenant en termes de temps et de neurones. D’où l’avantage de boîtes toutes faites. Toutefois, dans mon collège, le centre socio-culturel Créaliance a déjà fait créer un escape game à des élèves de Quatrième et de Troisième [4].
Les élèves nous ont fait tester leur jeu d’évasion dans une salle de physique-chimie, avec des énigmes très inventives basées sur les sciences et les maths. Même le principal a participé !
Les livres-jeux peuvent avoir des structures très complexes, comment t’y prends-tu ? Des outils de création privilégiés ?
Il existe des logiciels dédiés... que je n’ai jamais utilisés. Je travaille à l’ancienne, avec des feuilles de papier pour les plans et les listes de numéros. Le parcours est souvent géographique, il faut donc avoir une carte avec quelques annotations. Les événements, les objets trouvés, sont liés à un endroit matérialisé sur le plan. Tout est géographique. Ça peut paraître compliqué vu de loin, mais quand on est plongé dedans on a tout en tête, comme le serveur de restaurant qui se rappelle des commandes de chaque table sans effort. Mieux vaut garder des notes quand même, car quelques semaines plus tard, on a tout oublié !
Pour écrire je tape sous Word en hiérarchisant les parties et sous-parties [5], ça crée un déroulé très clair dans un panneau sur le côté gauche en tapant Ctrl+F / Titres. Ça facilite aussi le travail des relecteurs de la maison d’édition.
Trois outils indispensables : une cafetière bien approvisionnée, une bibliothèque et Wikipédia. Sans documentation, impossible de travailler ! Pour La Marque de Cthulhu, c’était histoire de vérifier l’orthographe des noms de Grands Anciens : Rhan-Tegoth, Shub-Niggurath... Pour Hôtel mortel, c’était pour s’assurer des faits et des dates. Enfin, pour Le Secret des Mayas, je travaillais plutôt avec des livres et des documentaires télé.
Des conseils de lectures ou de jeux, à visée pédagogique ou juste pour le plaisir ?
Les collègues créateurs de jeu apprécient le livre de Ronan Le Breton, Design narratif. En matière de pédagogie, je conseille de relire Le Nom de la rose d’Umberto Eco. Bon, en fait ce n’est pas pédagogique, c’est juste que tout le monde devrait l’avoir lu. :)
Propos recueillis par Mélanie Fenaert le 9 janvier 2020
[1] Article Livre interactif, de rôles, activités pédagogiques et pratiques.
[2] Le fichier audio est librement et gratuitement utilisable, vous le trouverez à cette page, dans les contenus additionnels.
[3] Editions Les Labyrinthes pédagogiques.
[5] Gauthier utilise ici la hiérarchisation des titres dans les styles du traitement de texte (Titre1 Titre2 etc.), comme on peut le voir en haut de la capture d’écran qu’il nous a aimablement transmise.