La Disparition de Laloupe et la Bande des Quatre
Première mise en ligne le 29 octobre 2020
Gauthier Wendling, professeur de Français et auteur d’escape books [1], analyse « La Disparition de Laloupe et la Bande des Quatre », un livre jeunesse de 1986 écrit par Martin Waddell : une lecture-madeleine de Proust et une source d’inspiration pour l’écriture d’histoires interactives pour et avec les élèves.
Vous regardez, Watson, mais vous n’observez pas
Imaginez une aventure du Club des Cinq d’Enid Blython, sans Dagobert mais avec une vraie enquête policière. Une enquête dans laquelle, pour gagner, il faudrait être aussi observateur que Sherlock Holmes. Le tout sous une couverture imitant la Série Noire, mais pour enfants. Le résultat serait un livre dont vous êtes le héros, quelque chose comme La Disparition de Laloupe et la Bande des Quatre [2] édité chez Gallimard Folio cadet en 1986.
L’auteur est Martin Waddell, né en Irlande en 1941, et qui a écrit de nombreux livres jeunesse : Tu ne dors pas, petit ours ? ou Couic-Couic et Ratatam. Les aventures de sa « Bande des Quatre » (« Mystery Squad ») ne figurent pas dans sa bibliographie sélective sur Wikipédia en anglais, alors qu’elle l’est en français [3]. Il ne semble pas avoir écrit d’autres livres dont vous êtes le héros que ceux de cette série qui compte huit titres, dont six traduits dans la langue de Molière. Il a reçu un prix d’écriture en 2004 pour sa contribution à la littérature pour enfants.
De la belle mécanique, ça, monsieur
À quoi ressemble une enquête dans un livre de Martin Waddell ? Comme dans tous les livres dont vous êtes le héros, le lecteur passe par une série de paragraphes numérotés en commençant par le 1. À la fin de chaque paragraphe, on lui propose une suite :
Voulez-vous aller fouiller ce placard ? Rendez-vous au 22.
Si vous préférez tendre un piège aux méchants, rendez-vous au 89.
Le jeune lecteur s’implique donc dans l’histoire, il guide les héros et choisit leur destinée. Cette implication est augmentée par les énigmes qu’il doit résoudre pour gagner des « points Sherlock » et se comparer à un barème à la fin de l’histoire. S’il ne gagne aucun point, il reçoit une tarte à a crème !
Les étapes de l’enquête sont de deux sortes et font appel à l’observation et à la logique :
- remarquer un indice dans une illustration. Elles sont nombreuses, parfois sur deux pages ou sous forme de petite BD, et signées Terry McKenna. Par exemple, le lecteur doit remarquer la pipe cassée qui traine sous la table, seul signe qu’une bagarre a eu lieu...
- décoder des rébus (souvent !) et des messages en sémaphore ou en morse. Les rébus sont des messages que se laissent entre eux les petits héros de l’histoire. Justement, qui sont-ils, ces héros ?
Y a pas que le Club des Cinq dans la vie
Quatre enfants : Thomas (fils du commissaire Laloupe) et ses amis, les frères Rémi et Anatole, et leur sœur Julie. Chacun a son petit caractère, ce qui permet de se rappeler qui est qui, en plus de quelques traits physiques sur les images.
- Thomas Laloupe est observateur comme son policier de père, il est grand, blond-roux, c’est plus ou moins le chef.
- Rémi Lardon est inventif et bricoleur (micros, caméras et autres gadgets façon Goonies), il est en quelque sorte le second de Thomas. Grand comme lui, on le reconnaît à ses cheveux noirs rétifs au peigne, les mêmes que son frère Anatole.
- Anatole Lardon, rêveur et gourmand, est plus petit que les deux autres garçons. Il tient les listes (de suspect, de matériel...). C’est lui le narrateur de l’histoire. Il se dispute souvent avec Rémi et se moque de leur sœur Julie.
- Julie Lardon, garçon manqué, toujours coiffée de sa casquette ; c’est la cadette de Rémi et d’Anatole. Elle signe souvent les messages-rébus qui ponctuent les enquêtes.
Remarque : les dialogues sont souvent sans incises pour rappeler qui parle, ce qui rend parfois les discussions (ou les disputes) un peu confuses ! Les prénoms ont été francisés, tout comme le nom du commissaire Laloupe et d’autres qui contenaient un jeu de mots utile à l’enquête, quand une initiale ou un surnom permettent d’identifier un suspect.
Le mystère commence ici... tournez la page !
Une courte introduction nous met dans le bain, c’est le cas de le dire : la Bande des Quatre est à la plage ! Des gamins que leurs parents semblent peu surveiller et qui n’ont pas souvent école... Julie, Thomas, Rémi et Anatole tombent régulièrement et par le plus grand des hasards sur des enlèvements de milliardaires, des contrebandiers, des barons du crime. Le fait que le papa de Thomas soit commissaire donne un petit coup de pouce.
Dans ce tome : tout ne tourne pas rond au camping de la plage de Red Bay. Le commissaire Laloupe a emmené son fils en vacances, ainsi que ses amis, et il a la ferme intention de se la couler douce. De nos jours un père dirait « et durant ces vacances, pas de console ». Laloupe dit « pas de mystère, pas d’enquête, ne fouinez pas partout ! » Enfin, ça c’était avant qu’il ne disparaisse mystérieusement de sa caravane... Les enfants vont observer, tenter de prévenir les autorités, pour au final se retrouver embarqués dans une histoire de lingots d’or, d’île déserte et de carte avec un X qui indique l’emplacement !
C’est d’ailleurs curieux, cette obsession des récits pour enfants à vouloir faire échouer des mômes seuls sur une île pour y trouver un secret : Le Club des Cinq et le Trésor de l’île, Le Mystère de l’île aux moines [4], etc. C’est tellement un cliché qu’Anatole lui-même finit par en faire la remarque en plein milieu de l’histoire ! Cette remarque joue d’ailleurs un rôle dans l’intrigue...
Gare, voilà un spoiler : ne lisez pas ce paragraphe ! Les méchants ont compris que les Quatre les filaient. Ils concoctent donc une fausse piste magistrale, une carte au trésor bidon, une soi-disant épave de galion espagnol, etc. pour les occuper pendant qu’eux, les voleurs, évacuent les lingots d’or, qui en fait proviennent d’une banque d’Afrique du Sud. C’est du moins ce qu’on croit comprendre car le vol n’est pas raconté, on ne comprend pas bien ce que le butin et les aigrefins font au camping de Red Bay, bien loin de Johannesbourg. Ce détournement est LA trouvaille de ce livre-jeu.
Qu’en penser ?
Les énigmes sont à la mode à notre propre époque, nous sommes devenus exigeants. Ce livre supporte-t-il le passage des années ?
À la lecture, bien souvent on se dit : ici il manquerait une indication pour cadrer, le lecteur ne comprend pas intuitivement où l’auteur va... Là, la traduction de ce message chiffonné ne permet pas de faire correctement l’énigme, alors qu’en modifiant légèrement ce serait parfait... Certaines déductions semblent discutables, comme celle du lieu à trouver sur l’île : si on se base sur la carte comme indiqué, et qu’on se demande quel endroit est visible depuis la vieille tour, mais pas depuis l’endroit où les voleurs essaient d’envoyer nos héros, on trouve une réponse complètement différente (et, pour moi, plus logique) de celle trouvée par nos héros.
Par ailleurs, les indices sur les illustrations sont parfois trop petits pour être bien reconnaissables (la pipe cassée, distinguer JUS sur la bouteille dans le rébus JUS-LIT...).
Enfin, la succession de scènes à observer amène parfois à construire l’histoire de manière un peu artificielle. On a par moments l’impression que ça n’avance pas vite.
Pourtant, toutes ces remarques sont des détails. Clairement c’est un bon bouquin et une bonne enquête. Il y a de tout : ne pas se contenter de regarder, mais observer ; retenir les indices ; comprendre plusieurs rébus et codes... Si on nous dit que les héros trouvent un document, on l’a sous les yeux, ce qui augmente le plaisir de la lecture. Un petit modèle du genre, et à vrai dire avoir lu cette histoire me donne envie de (re)lire les autres tomes de la série !
[1] Lire notre article Gauthier Wendling se livre.
[2] Retrouvez la fiche du site Planète livres dont vous êtes le héros consacrée à la série de la Bande des Quatre.
[4] Aussi adapté en téléfilm en 1966, réalisé par le britannique Jan Darnley-Smith.