Le paradoxe du marionnettiste
Première mise en ligne le 16 juin 2022
Vous connaissez Dans la peau de John Malkovich ? L’introduction du nouveau livre d’Éric Sanchez [1], Le paradoxe du marionnettiste, vous fait découvrir ou vous replonge dans ce film de Spike Jonze mettant en scène un marionnettiste découvrant un passage dans l’esprit du célèbre acteur. Une manière d’expliciter le titre de l’ouvrage tout en accrochant le lecteur : c’est parti pour un numéro d’artiste, pardon une lecture qui s’annonce passionnante !
L’entrée en matière engageante favorise ainsi l’immersion du lecteur, à la manière d’un joueur qui s’engage dans un jeu. Le glissement dans la peau d’un personnage est par la suite repris au début de chaque chapitre : tous débutent en effet par une courte séquence-type décrite en mode subjectif, impliquant un joueur fictif mais basé sur une expérience réelle.
« Élodie ne joue pas le jeu qui est attendu. Ce qui l’amuse, c’est de tuer ce petit personnage agaçant. Élodie est une tueuse de tamagotchi, une tamagotchicide ! »
Les deux premiers chapitres installent le décor avec les concepts généraux et fondamentaux sur le jeu et la pédagogie. On y retrouve les incontournables Huizinga, Henriot, Brougère et de nombreuses autres références. Celles-ci sont aussi distillées tout le long de l’ouvrage et compilées dans une très riche bibliographie.
Astuce : ne commencez pas à sélectionner des passages intéressants, il y en a trop !
Les chapitres suivants tiennent le fil et explorent les différentes dimensions du jeu pédagogique : le jeu comme situation d’apprentissage, le jeu collectif, l’enseignant-maître du jeu, le débriefing, la conception, la créativité. On y trouve des éclairages intéressants et parfois inédits sur la question de l’évaluation, la tension entre compétition et collaboration [2], la posture du game master, le cercle magique... Sans oublier le fameux chocolat sur du brocoli [3] ! Des thématiques qui, chez S’CAPE, font écho à nos questionnements et réflexions au quotidien.
« Évaluer scolairement en attribuant par exemple une note, c’est prendre le risque d’anéantir le caractère frivole du jeu et, par conséquent, le jeu lui-même. »
On apprécie la variété des jeux explorés en tant qu’exemples et supports de la réflexion : jeux vidéo, jeux numériques, jeux physiques, jeux individuels ou collectifs. L’escape game tient une bonne place dans l’ouvrage, avec comme référence Homo novus, un jeu d’évasion créé par Éric et Maud Plumettaz-Sieber au sein du Laboratoire d’innovation pédagogique de l’Université de Fribourg. Il s’inspire du scénario d’ÉNIGMA, le premier escape game pédagogique décrit sur notre site.
« Il existe donc une tension entre la frustration qui résulte des échecs liés à la difficulté du jeu et le plaisir ressenti lorsque les échecs sont surmontés et que le conflit se résout au bénéfice du joueur. »
Au fur et à mesure de la progression dans l’ouvrage, l’auteur construit avec le lecteur un modèle systémique du jeu : une organisation en enveloppes emboîtées [4] représentant différents niveaux d’interactions entre les acteurs impliqués (jeu-game, joueurs, game master, apprenants, enseignant, chercheur, praticien).
En se basant sur des exemples concrets de jeux éprouvés, dans un vocable clair et précis, Éric Sanchez ne joue pas au marionnettiste avec le lecteur mais lui offre un véritable et passionnant numéro d’équilibriste. Chaque pas, chaque mot fait mouche. L’auteur réussit ainsi à maintenir le difficile équilibre entre concepts poussés issus de la recherche, et accessibilité pour des lecteurs s’intéressant à la ludopédagogie mais moins acculturés aux notions et au jargon des chercheurs.
Qui plus est préfacé par Gilles Brougère, Le paradoxe du marionnettiste est un ouvrage incontournable pour tout étudiant, enseignant, formateur se penchant sur le sujet du jeu pédagogique.
[1] Éric Sanchez est chercheur en technologies éducatives à l’Université de Genève. Outre ses publications universitaires, il est notamment co-auteur avec Margarida Romero d’Apprendre en jouant, publié aux éditions Retz.
[2] On se délecte du néologisme coopétition.
[3] Dont nous parlons dans notre article L’ÉPhiScience du jeu.
[4] Les professeurs de SVT, comme le fut Éric, apprécieront fortement cette représentation !