Garder trace
Première mise en ligne le 22 décembre 2020
« On n’apprend pas en jouant, on apprend en réfléchissant sur son expérience lors du débriefing. »
Si nous répétons si souvent cette phrase d’Éric Sanchez, c’est bien parce qu’elle résume tout à fait la manière dont nous envisageons la mise en œuvre de jeux et escape games pédagogiques. La phase de jeu n’est pas le véritable moment d’apprentissage : elle doit rester un jeu dans toute sa dimension ludique, immersive, collaborative, permettre les essais/erreurs et constituer un riche moment émotionnel. Toutes ces caractéristiques aideront à la mémorisation de certains passages de ce moment ludique. Mais si l’on souhaite qu’un réel apprentissage – de notions, de compétences – s’ancre chez les joueurs, il faut leur donner l’occasion de réfléchir, formuler, prendre conscience de ce qu’ils ont découvert, appris ou révisé. On ne peut alors faire l’impasse sur un temps métacognitif, le débriefing, idéalement situé immédiatement après le jeu.
Dans Indispensable débriefing, nous proposons une organisation de cet après-jeu et une réflexion sur son contenu. Une fois passé un premier moment de relâchement de la pression et des émotions, viendra le temps de discuter du jeu et de son contenu, de manière plus ou moins guidée par l’enseignant·e. L’essentiel doit venir des joueurs, le maître du jeu reformulant et/ou formalisant les points importants.
Mais tout ceci reste oral, et il est important qu’une trace du jeu et de son contenu pédagogique puisse être conservée par les élèves. Sous quelle forme la proposer, l’organiser ?
« Débriefer, c’est le moment où le plaisir du jeu doit devenir plaisir d’appréhender ce qu’on a appris. »
Émilie Kochert, professeure d’histoire-géographie
Pour que ce moment reste un plaisir même si l’objectif est clairement pédagogique, on veillera tout d’abord à conserver une bonne part de collaboratif à ce débriefing : a fortiori après un escape game où tout le monde n’a pas tout vu des énigmes, il sera difficile de faire seul·e un bilan du jeu !
Deuxième point important, la forme pourra elle aussi être ludique, ou tout du moins originale par rapport à des traces de cours « classiques », et pourquoi pas dans un esprit qui se veut le prolongement du scénario du jeu : c’est le cas de certains des exemples de supports de débriefing proposés ci-dessous par nos collègues.
Avec efficacité
Les professeurs de sciences et d’histoire-géographie (et sûrement pas qu’eux) les adorent : les schémas. Qu’ils soient proches de l’organigramme du jeu, ou constituent plutôt un bilan lié aux notions de cours, fournir une silhouette à compléter est une façon efficace de fixer les contenus et leurs relations.
Lucille Legoubé propose ce type de document suite à son escape game Decaz Treasure.
En toute simplicité
Sans avoir nécessairement prévu un schéma complexe, on peut proposer aux élèves de construire en équipe une carte mentale. Elle pourra être réalisée à la volée sur une feuille ou sur un tableau blanc, ou l’on peut en fournir les prémisses en y repérant les différentes énigmes : cela incite à véritablement réfléchir à chacune d’entre elles. Il est important dans ce cas que les élèves aient accès à l’organigramme du jeu (vidéoprojeté ou sur feuille) et/ou aux éléments du jeu non encore rangés, pour retrouver l’ensemble des énigmes et pouvoir revivre en quelque sorte leur résolution.
Émotions-centré
Pour le débriefing de son dernier escape game, La maison dans les bois, Élodie Lahaye propose des cadres à compléter accompagnés de questions très axées sur les émotions de chaque joueur, pour passer ensuite en douceur aux contenus. L’enseignante de Français attend ici des phrases rédigées. Le document, réalisé avec Canva, est décoré de manière sobre et dans l’esprit du jeu, tout en rappelant ses objectifs pédagogiques.
Numérisé
Que l’escape game se soit joué de manière « réelle » ou en ligne, le débriefing peut tout à fait être tout ou partie numérique. Nous avons déjà évoqué ces modalités dans notre article Loin des yeux, loin du joueur. Un formulaire à remplir, de type Pronote, Quizinière ou GoogleForm [1] permet à l’enseignant·e de recueillir de nombreuses traces, visant à vérifier les acquisitions, améliorer le jeu, voire même faire des statistiques à l’échelle de la classe. C’est ce que propose Fleur Ypres à la suite de ses escape games virtuels comme Dorsales ou À la conquête du sommet.
« L’analyse des questionnaires de mon escape game précédent m’a appris que d’une part, certains élèves fouillent un peu partout et prennent des notes au fur et à mesure, d’autre part, que d’autres reviennent régulièrement aux documents (ce qui les a fait râler mais ils ont reconnu aussi que c’est ce qui les a aidés à mémoriser). La construction du bilan ne pose pas de problème (il faut dire que je leur donne des pistes de réflexion...). Cette fois-ci ils auront à répondre à un QCM Pronote de manière individuelle en ligne pour vérifier qu’ils ont bien compris l’essentiel. » Fleur Ypres.
Julien Bobroff propose quant à lui une première étape sur smartphone : « De mon côté, j’ajoute aussi, au tout début, et avant le débrief collectif, un questionnaire individuel que les étudiants remplissent anonymement sur leur smartphone, pour avoir leur ressenti individuel avant qu’ils ne soient « influencés » par le collectif. »
En toile d’araignée
Ivanne Hureau a créé pour son escape game Le manoir hanté un support de débriefing original, à la manière des diagrammes-radars que l’on retrouve dans différents domaines, des jeux vidéo aux logiciels de notes. La forme permet une compréhension immédiate des attendus et fournit un bilan en un seul coup d’œil. L’enseignante a ici fait le choix d’un bilan centré sur les compétences et sur le « nous », commun à toute l’équipe. On appréciera le respect de la thématique, avec un support différent par équipe.
- Le document complet d’Ivanne.
- Une seconde version (format PDF, ou modifiable avec PowerPoint) créée pour un autre escape game (Code Nobel, Mélanie Fenaert) et mêlant retours personnels et en équipe.
Plutôt carré
Les outils des pédagogies coopératives peuvent aussi être adaptés au débriefing. C’est le cas du Placemat (en anglais : « napperon » ou « set de table »), utilisé par Stéphane Raymond suite à son escape game In memoriam Berlin. Sur une feuille A3, chaque élève réfléchit d’abord individuellement dans les espaces latéraux, puis les membres du groupe croisent leurs idées et préparent dans la case centrale une synthèse consensuelle des informations prises en note [2].
Interviewés
Et pourquoi nécessairement passer par l’écrit ? Coralie Ulysse a podcasté le débriefing de son escape game Diagnosticos, Pathos, Demerdos ! Une fois le défi remporté (la préparation d’un remède pour leurs camarades transformés en zombies), les joueurs sont interviewés par la webradio du lycée pour « rassurer leurs familles » afin de revivre et expliquer les différentes actions réalisées. À leur écoute, on perçoit bien tout l’enthousiasme suscité par cet escape game chez les élèves de Coralie !
Une manière originale d’ancrer ce moment d’apprentissage autrement dans la mémoire des joueurs.
Tous les podcasts des élèves de Coralie.
Cette version audio du débriefing peut être aussi envisagée comme une manière différente et ludique de préparer les élèves aux épreuves orales qui les attendent.
Combinée à d’autres médiums écrits, elle est intéressante dans le cadre d’un jeu à distance : après une partie solitaire ou qui a pu subir quelques difficultés techniques pour communiquer entre joueurs distants, on retrouve la voix pour partager ses émotions et ses découvertes, et l’ouïe pour écouter celles des autres.
[1] Attention au respect de la RGPD, cet outil est à éviter avec des élèves.
[2] 52 méthodes, Pratiques pour enseigner, Réseau Canopé.
[3] Source : Le courage dans l’enseignement du français langue étrangère, Markus Ludescher, OpenEdition Books.