Créer un jeu d’évasion littéraire
Première mise en ligne le 29 décembre 2019
Bien souvent, en tant que professeure de lettres, je me pose les questions suivantes : comment faire entrer les élèves dans la lecture d’un ouvrage ? Comment faire en sorte qu’ils lisent l’intégralité de l’œuvre ? Comment vérifier qu’ils l’ont lue et qu’ils en ont compris les enjeux ?
C’est en effet un challenge qui se termine parfois en véritable casse-tête. Alors pourquoi ne pas passer par l’aspect ludique et immersif du jeu d’évasion ?
La création par l’enseignant d’un escape game s’avère être un moyen original de lancer les élèves dans une lecture. Plutôt que de travailler à partir des couvertures de roman, de passer par la mise en voix d’un florilège de répliques, pourquoi ne pas faire des hypothèses de lecture en passant par le jeu ?
Ainsi, lors de la création d’un escape game consacré à Shéhérazade et aux contes des Mille et une nuits, notre objectif principal avec Céline Viot était de permettre aux élèves d’entrer dans la lecture en mettant en avant le sort cruel réservé à la jeune femme. Et quelle mission ! Sauver une princesse d’une mort certaine et d’un tyran cruel, voilà un programme auquel les élèves ne peuvent résister.
On aborde ainsi la notion de héros (au programme de la classe de Cinquième) en interrogeant leur statut même au cours du jeu. On peut alors intégrer tous les éléments propres à l’ouvrage traduit par Antoine Galland en travaillant aussi bien des compétences liées à la lecture, à l’oral et à la construction des compétences lexicales.
Le jeu d’évasion permet également d’acquérir des éléments de culture littéraire et des clefs de lecture d’un tel type de texte avant même l’entrée dans le texte. Grâce aux différentes énigmes proposées, les élèves ont ainsi compris l’idée de récit-cadre et d’enchâssement des histoires (comme des énigmes). Ils ont également pris conscience que les mots, les contes voyagent et permettent un enrichissement culturel comme lexical. De plus, les principales composantes d’un conte ont pu être révisées : la présence d’un opposant, d’un adjuvant, le rôle joué par le merveilleux, la fonction morale et aussi divertissante…
Autant d’éléments qui ont permis ensuite une entrée plus facile dans la lecture des aventures de Sindbad, Ali Baba, Ali Cogia… « Comprendre c’est mettre du sens » [1]. Le jeu d’évasion peut ainsi « créer un pont entre l’objet et l’apprentissage », entre le livre et la compréhension de son contexte, de son contenu, de son auteur.
Pour aborder le travail d’un auteur, on peut évidemment envisager une enquête sur sa vie afin de mieux comprendre comment l’œuvre et le parcours de l’écrivain sont intimement liés. En travaillant sur Apollinaire en classe de Troisième, j’ai introduit la séquence par une enquête à partir de documents relatifs à la vie du poète. Les élèves, journalistes, ont reçu une enveloppe contenant les documents liés à un soldat mort le 9 novembre 1918 : un faux journal intime, des documents officiels, des photographies, des extraits de ses œuvres… Ils devaient ainsi reconstruire son parcours, sa vie. C’est un moyen pour travailler diverses compétences : la lecture de documents variés, la compréhension de l’implicite et l’écriture d’une biographie sous la forme de leur choix. Un biais pour accompagner le poète dans les tranchées, mais aussi une manière d’entrer dans une œuvre par une approche plus ludique.
On peut envisager de construire une séquence intégrale sur une œuvre. L’escape game pourrait devenir une manière d’aborder un ouvrage et de créer une séquence de lecture d’œuvre intégrale : chaque séance réalisée en classe menant à la découverte de la suite d’un livre, telle la quête d’un trésor [2]. Ce serait alors un moyen de faire le point sur les acquis des élèves lors des différentes étapes, que ce soit aussi bien au niveau de ce qu’ils ont retenu de la lecture (intrigue, liens entre les personnages…) que des compétences lexicales et grammaticales qui ont pu être travaillées. Le jeu devient donc le support d’une évaluation formative au fil de la lecture. Le genre policier se prête particulièrement à cela, mais il en est de même pour les récits de voyage ou d’aventures, pour les genres fantastiques ou réalistes. Le tout est de déterminer le but de la quête : résoudre un mystère, retracer le passé d’un personnage, retrouver un objet…
L’escape game peut aussi se prêter à une évaluation sommative. Par exemple, afin de voir si les élèves ont compris les ressorts de la tragédie, Cyril Mistrorigo, avec son travail autour de la figure mythique d’Antigone, a réussi à piéger ses élèves en leur proposant de sauver la jeune fille, malheureusement déjà morte au moment même où commence la tragédie. C’est afin de revoir les connaissances des élèves sur les légendes arthuriennes que je les ai imaginés prisonniers de la forêt de Brocéliande, dans l’escape game Sur les pas des chevaliers de la Table Ronde. Ils devaient faire appel aussi bien à ce qu’ils avaient appris sur l’univers de la chevalerie qu’aux compétences orthographiques et lexicales travaillées.
La question du temps de préparation autour du livre pourrait représenter un frein. Cependant, c’est selon moi un faux problème. Il s’agit bien ici de penser autrement la manière d’aborder la lecture avec des élèves et de les impliquer. Le temps n’est rien en comparaison de l’apport d’une telle pratique pour nos élèves : une meilleure compréhension, un réinvestissement des compétences et surtout un réel plaisir de lire, de découvrir ensemble en coopérant. C’est alors le groupe classe qui est transformé et la cohésion est renforcée. Jouer autour d’un livre, d’un auteur, se présente comme une alternative permettant d’aborder autrement la littérature.
[1] Connac, 2012, La personnalisation des apprentissages, Ed. ESF.
[2] On vous en dit plus dans notre article LivrEscape : créer un escape game autour d’un livre.