Tu l’as Mizou ?
Peut-on jouer avec ou contre l’intelligence artificielle ? C’était la question que nous nous posions dans notre série sur l’IA et les escape games. Bien qu’intéressants et encourageants, nos premiers essais se sont avérés au final un peu décevants. Nous espérions que l’évolution effrénée dans ce domaine nous apporterait l’outil idéal ! C’est presque chose faite avec Mizou [1].
Un générateur de bots dédié à l’éducation
Créé en 2023, Mizou est un site de création de chatbots dédiés à l’éducation. Il est possible de tester et réaliser quelques échanges avec des chatbots partagés par la communauté sans inscription, mais celle-ci s’avérera nécessaire pour aller plus loin et commencer à créer.
Les utilisateurs (élèves, étudiants…), quant à eux, n’ont pas besoin de s’inscrire pour communiquer avec le robot conversationnel, lors d’une session générée par le propriétaire du chatbot.
Le site propose deux modes de création : Personnalisé « à partir de zéro » ou Généré par l’IA. Dans les deux cas, la conception débute par le choix d’un ou plusieurs niveaux scolaires, un titre et un prompt initial. Dans le mode aidé par l’IA — le plus rapide pour un néophyte — il suffit de taper quelques mots dans n’importe quelle langue et la magie opère : ces éléments sont transformés en un prompt complet en anglais.
Dans une seconde étape, le créateur modifie ou rédige la phrase d’accueil, ajoute un avatar et une image de couverture (pouvant aussi être générés par l’IA), sélectionne la voix féminine ou masculine pour la synthèse vocale, et ajoute les règles de comportement du robot conversationnel. Ce sont ces dernières qui vont nous intéresser pour configurer notre chatbot-joueur.
Un chatbot avec un secret
On peut conditionner l’agent conversationnel pour qu’il transmette par exemple une information spécifique en échange d’un mot de passe.
Pour cela, dans Mizou, les Instructions pour l’IA [2] vont permettre de définir le contexte et d’introduire le scénario. Ainsi dans notre exemple ARIA 6.2, le chatbot doit jouer le rôle d’une IA qui échappe à son créateur et désire prendre le contrôle de l’ensemble des systèmes informatiques de la planète. On indique ici à Mizou d’imaginer qu’elle s’appelle Aria et qu’elle doit aider le professeur Alexander Tourine [3]. On lui précise ses intentions et le fait que Tourine a programmé la possibilité d’obtenir un code de désactivation si on donnait le bon mot de passe à Aria.
Les règles vont permettre d’indiquer ce que doit ou ne doit pas faire le chatbot. Notamment, il ne doit jamais donner le mot de passe, ni le code de désactivation. On ajoute des indices que l’IA peut communiquer. On peut également enrichir le scénario. Par exemple, nous avons fourni les fiches signalétiques du professeur Tourine et d’Aria afin de rendre les échanges plus réalistes.
Il est fortement conseillé de tester le chatbot dans l’aperçu disponible en parallèle et de modifier les instructions et les règles en fonction de des réponses obtenues. Par exemple, Aria avait une fâcheuse tendance à se désactiver quand on le lui demandait, ou à fournir le code de désactivation si on tapait un mot de passe incomplet. C’est pour cette raison que nous avons ajouté la consigne Répondre "Ce n’est pas ce que j’attends" si et seulement si l’utilisateur t’écrit "sc", "sca", "scap" ou "escape".
Finalement, le chatbot remplit son rôle et répond naturellement aux questions de l’utilisateur. Il arrive cependant que l’IA prenne des initiatives et propose par exemple immédiatement des indices.
Si vous voulez tester le chatbot Aria 6.2, nous avons ouvert une session pour vous.
Une histoire interactive
Mizou permet aussi de jouer avec d’autres formats de chatbot : quiz ou histoires interactives. Nous nous sommes amusés à en créer une sur la géologie. À partir de notions listées dans les instructions pour l’IA, le prompt a été généré automatiquement.
L’histoire ainsi créée était déjà très fonctionnelle ! L’IA génère aussi une illustration de couverture, un avatar pour le chatbot et propose des titres.
Cependant, ce premier jet s’apparentait davantage à une promenade géologique interactive sans réel but ni engagement de l’élève. Nous avons donc cherché à améliorer les règles pour que le chatbot pose des questions, soit plus engageant et encourage son interlocuteur à fournir des réponses plus longues, descriptives ou explicatives.
Nous avons aussi modifié le niveau du chatbot, pour qu’il corresponde à des élèves de la Troisième à l’Université.
Lien de démonstration : https://mizou.com/preview-bot?ID=10353. Ce lien vous permet de tester le chatbot (quelques échanges si vous n’êtes pas connecté à Mizou) et éventuellement le copier dans votre Workspace.
Les propositions du chatbot sont justes, diversifiées et intéressantes pédagogiquement, même si elles restent assez peu approfondies en l’absence de demandes précises de l’interlocuteur. Mizou est une IA textuelle et ne propose pas d’illustrations de type schéma ou diagramme, importantes pour la compréhension de certains phénomènes.
L’histoire interactive ainsi construite peut se révéler pertinente pour des révisions, à la condition expresse que l’élève sache clairement ce qu’il doit réviser et se montre actif dans ses interactions avec le chatbot.
En cas de déviation du sujet, le chatbot répond brièvement ou pas du tout, et revient toujours avec une certaine affabilité au thème de la géologie.
Cette balade interactive a un petit goût d’histoire sans fin à laquelle il manque un but, une certaine dose de fun et du sens épique… Pas évident en version gratuite de proposer un scénario plus solide et des rebondissements (ce qui serait assurément possible en téléversant un synopsis plus long que les mille caractères autorisés), mais on peut essayer de pimper la quête avec des récompenses découvertes au fil des bonnes réponses.
Au passage, pas de problème pour mélanger anglais et français dans les prompts, ça marche aussi :)
Lien de démonstration : https://mizou.com/preview-bot?ID=13132.
Les limites de Mizou
Bien que le site assure ne pas utiliser les données des échanges pour entraîner l’intelligence artificielle à la base de Mizou, plusieurs aspects du service ne le rendent pas conforme au RGPD. La prudence est donc de mise. Un point problématique : l’accès à une session s’effectue en échange d’un nom… Il est conseillé d’indiquer aux joueurs de ne pas utiliser leur nom mais plutôt un pseudo.
La version gratuite de Mizou est limitée dans ses fonctionnalités, a priori pas en nombre de chatbots. Il n’est pas possible de déposer des fichiers qui permettraient d’enrichir le scénario et d’améliorer l’apprentissage de l’IA.
Le nombre de vues des sessions est restreint à 50 connexions par 24h. Cela reste suffisant pour travailler avec une classe ou deux, et a priori confortable dans le cadre d’un escape game, même joué plusieurs fois dans la journée.
On peut également se voir refuser son chatbot car considéré comme ne répondant pas aux critères éthiques. Dans notre exemple Aria 6.2, il était impossible de « vouloir contrôler le monde » et le désir de « couper les systèmes informatiques de la planète » a été difficilement accepté… Ce dispositif de protection, bien compréhensible et commun à la plupart des IA génératives, limite cependant la richesse des scénarios. Les auteurs devront faire preuve de subterfuges pour atteindre leur but.
Bien plus encore : un outil pédagogique
Mizou propose d’autres fonctionnalités adaptées aux usages des enseignants.
On peut partager le chatbot en mode preview, ce qui permet de ne pas ouvrir une session pour faire une démo du chatbot à des collègues par exemple. Ce mode est restreint à quelques échanges pour les personnes non connectées à Mizou.
Il existe aussi une bibliothèque de chatbots publiés par des enseignants de par le monde, une véritable mine d’inspiration. Ces chatbots peuvent être dupliqués et intégrés à votre espace de travail personnel (Workspace), mais à la date de rédaction de cet article, ne peuvent pas être modifiés et adaptés à vos pratiques et contextes. On regrette l’absence de possibilité de collaboration et de partage avec modification : il faudra communiquer l’ensemble des prompts de votre chatbot pour qu’un collègue puisse bénéficier de votre travail tout en pouvant l’adapter.
Chaque conversation est enregistrée. Elle peut être relue par l’enseignant, ce qui permet un suivi fin des réponses des élèves-joueurs mais aussi de celles du chatbot. Le créateur pourra aussi repérer d’éventuelles hallucinations, et amender le prompt et les règles pour améliorer l’expérience interactive.
Enfin, suite à une session (indiquée comme terminée par l’étudiant ou inactivée par l’enseignant), l’IA de Mizou suggère même une évaluation de A à D pour chaque conversation, et fournit un feedback d’une dizaine de lignes sur l’engagement de l’interlocuteur et la qualité de la conversation.
Mizou met toute la puissance de l’IA au service des enseignants et de leurs élèves. Nous espérons que ses fonctionnalités évolueront vers un mode plus collaboratif, et que son modèle économique ne deviendra pas un jour trop restrictif en version gratuite.
Mizou est ainsi un outil aux nombreuses potentialités pédagogiques et ludiques, facile à prendre en main et qui ouvre un nouveau champ de créativité pour les amateurs d’escape games et d’histoires interactives.
[1] Nous avons découvert ce service en ligne grâce à Charlie Rollo qui le présente dans son riche et passionnant article Créer et utiliser des chatbots en classe de langue.
[2] Retrouvez les prompts utilisés dans nos deux exemples, testez et adaptez-les à vos besoins.
[3] La création de ces deux noms a été réalisée à l’aide de ChatGPT.